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Le Monde 07/06/2007

Maîtriser le facteur russe

par Ioulia Timochenko, présidente du parti Bloc Ioulia Timochenko et ancien premier ministre

jeudi 7 juin 2007, par administrateur


Ces deux derniers mois, lorsque la crise politique dans mon pays se durcissait, j’entendais les admonestations occidentales : "C’est encore la jeune démocratie ukrainienne qui vacille." L’Europe nous regardait comme un jeune enfant turbulent qui manquait de maturité. Pourtant, les Ukrainiens ont montré qu’ils étaient maîtres de leur destin, et un compromis politique a été trouvé, fixant la date des prochaines élections législatives au 30 septembre. Cet accord marque la victoire de l’intérêt national sur les rivalités personnelles et claniques.

Depuis cet événement, un autre élément s’est immiscé dans les relations entre les Européens et l’Ukraine : la Russie promet de trouver de nouvelles cibles en Europe si les Etats-Unis installent des sites antimissiles en Pologne et en République tchèque. Je vois déjà la majorité des chancelleries occidentales s’agiter devant ces menaces, et elles ont raison. Combien de fois, pourtant, ai-je essayé d’attirer l’attention des leaders européens sur le réveil d’une Russie décomplexée, sûre d’elle-même, disposant d’un atout stratégique indéniable grâce à l’énergie ?

Je ne pense pas qu’une nouvelle guerre froide éclate, avec pour conséquence une nouvelle division du continent européen. Mais il faut prendre en compte certains traits caractéristiques, et séculaires, de la diplomatie russe, qui n’a pas changé malgré la dissolution de l’URSS : elle poursuit toujours une politique d’influence dans ce qu’on appelle encore "son étranger proche", dont l’Ukraine fait partie.

Dans ce triangle géopolitique UE-Ukraine-Russie, une coopération et une approche multilatérale des différents enjeux sont nécessaires. Il y a, d’une part, la question de la sécurité collective, de la démocratisation de tout l’espace post-soviétique et, d’autre part, celle d’un marché commun de l’énergie. Les possibilités de partenariat sont réelles et en tant que voisin de la Russie, l’Ukraine peut apporter sa contribution au débat qui se tient dans le cadre du G8 à Heiligendamm. La gestion du "facteur russe" est urgente.

Il est temps de faire comprendre à la Russie que, malgré le levier économique dont elle dispose par l’intermédiaire de Gazprom notamment, la dépendance joue dans les deux sens : les fournisseurs dépendent autant des consommateurs que l’inverse, d’où la nécessité de mettre en place une véritable "alliance énergétique". La démesure doit céder la place à la modération comme à la relativisation d’une puissance russe qui est somme toute limitée. Il nous faut repenser notre relation avec une Russie qui s’est relevée de la débâcle des années Boris Eltsine. Dessiner une nouvelle diplomatie qui ne soit plus fondée sur le ressentiment et le cynisme, mais adopter une démarche à la fois réaliste et constructive, qui permette d’avancer sur des sujets d’intérêt commun.

Dans ce contexte international, les nouvelles élections qui se tiendront à l’automne prochain sont une étape capitale, à la fois pour la vie politique ukrainienne, mais aussi pour l’avenir des relations russo-européennes et la stabilité mondiale. La démocratisation réussie de l’Ukraine sera un signe très fort pour Moscou, qui devra revoir ses ambitions, particulièrement dans le domaine énergétique. La pédagogie européenne sur la Russie se joue en Ukraine, parce que dans la psychologie collective russe, l’Ukraine c’est la Russie. Ce scrutin marquera donc une étape décisive vers la normalisation de mon pays. C’est pourquoi j’ai soutenu dès le départ la tenue d’élections anticipées au Parlement, parce que notre système constitutionnel est bloqué. Nos institutions sont encore trop faibles, et les structures économiques ont besoin d’être réformées. C’est sur ce terrain des réformes que je souhaite m’engager.

L’Ukraine a besoin d’une nouvelle stratégie de développement politique, social et économique. C’est la priorité de tous les Ukrainiens. Sans un fonctionnement politique normal, nous ne pourrons aller de l’avant dans la transformation du pays. Il nous faut rénover les institutions, car elles seules peuvent se porter garantes du bon fonctionnement démocratique, moraliser la vie politique et le monde des affaires, et améliorer le niveau de vie de tous les Ukrainiens. Mettre fin à l’impuissance politique, rassembler tous les Ukrainiens au lieu de les diviser, autour d’un vrai projet pour l’Ukraine, tel est le positionnement de mon parti, le Bloc .

En se rapprochant des modes de gouvernance européens, avec des politiques qui seront davantage soucieux du bien public que de leur propre enrichissement, l’Ukraine pourra devenir un acteur politique crédible en Europe. Nicolas Sarkozy a promis d’avoir un dialogue franc avec Vladimir Poutine. Cette franchise est nécessaire pour tout le monde, pour la Russie, la France, l’Ukraine et l’Union européenne dans son ensemble.

Source : Le Monde http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-920236,0.html


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